Le mercredi 19 avril 2006

16h - 18h, salle C-9019 (9e étage)
Pavillon Lionel-Groulx

conférence de Louise VIGNEAULT

 
 
LA MODERNITÉ ARTISTIQUE EN AMÉRIQUE DU NORD
ENTRE L'ESPACE RÉEL ET L'ESPACE IMAGINÉ

 
 
liste des conférences     annonce     texte de la conférence     photos
 
Charles Comfort, Country Side, 1925

1 2 3 4 5 6 7

Charles Comfort faisait partie de la génération des artistes qui ont succédé à celle du Groupe des Sept, et qui ont réagi contre le caractère nationaliste attribué aux œuvres, en élargissant les références et la perspective territoriale à l’échelle continentale :

  • l’artiste présente ici des Plaines de l'Ouest, mais il n’est pas vraiment possible de préciser s'il s'agit d’un paysage canadien ou états-unien.
  • et contrairement au paysage édéniques du Groupe des Sept, il a inscrit le territoire dans la contemporanéité le vecteur principal est une route carrossable bordée de pylônes électriques.

Le traitement s’est aussi modernisé :

  • la palette s’est éclaircie on retrouve au premier plan des contrastes audacieux  des oranges et verts acides juxtaposés aux roses violacés.
  • les formes ont aussi été schématisées et rendues presqu’en aplat, ce qui donne un aspect décoratif au sens noble du terme, i. e. que cela participe à l’autonomisation du médium.

le ciel qui occupe plus du ¾ de la composition est devenu une surface à la limite de l’abstraction, ce qui a aussi pour effet d’affirmer l’autonomie du médium.

Depuis une dizaine d’années, les études consacrées à l`américanité ont également permis de redéfinir les anciens repères nationaux en les inscrivant dans une perspective transcontinentale. Rappelons que l’américanité a été définie notamment par Gérard Bouchard et Yvan Lamonde comme les formes culturelles […] mises en place depuis le XVIIe siècle à la suite des transferts migratoires de l’Europe vers les Amériques et qui reflètent la somme des ruptures, des processus de différenciation (par invention, adaptation) et des projets de recommencement collectif caractéristiques de plusieurs collectivités neuves.

Ces collectivités ont ainsi partagé des processus de transit et d'adaptation, tandis que leurs identités ont été définies selon une proportion variable entre le réflexe de rupture et le souci de continuité, entre les projets de recommencement et le besoin de perpétuer la culture d’origine. L’expérience de confrontation avec la "frontière" (pris dans le sens anglophone de frontier), cette zone mouvante qui délimite l'inconnu et le connu, nourrissait également l’idée d’un dépassement des paradigmes traditionnels et d’un potentiel d’amélioration des conditions de vie. Face à cette réalité, les pionniers tendaient à vivre non pas dans l'errance (comme c'est le cas, en Europe, pour les groupes marginalisés), mais suivant une sédentarité « ouverte », un mouvement constamment envisageable et renouvelable. Dans son essai consacré au nomadisme, le sociologue Michel Maffesoli expliquait, au moyen d’exemples historiques s’étendant de l’Odyssée d’Homère à la contre-culture de Beat Generation, que cette coexistence s’explique par le fait qu’une « structure stable a besoin de son contraire pour conforter son existence ». Grâce aux travaux de Jean Morency consacrés aux imaginaires croisés des littératures québécoise et états-unienne, on a pu constater que dans le contexte américain, les mouvements centripète et centrifuge tendent à suivre ce principe, en se présentant non pas en opposition, mais en alternance, suivant un équilibre constant. Si le nomadisme offre un échappement des anciennes contraintes et un potentiel d’amélioration des conditions de vie, la sédentarité engendre une stabilité provisoire, un enracinement plus ou moins fixe, qui reste pourtant ouvert à de nouvelles étapes de transformation. Ce double mouvement aurait engendré une dynamique téléologique qui a permis des pallier l’absence de fondement historique, ou de « mémoire longue » pour employer une expression de Gérard Bouchard. Cette manipulation de la destinée et du principe hégélien, où temps et espace tendent à se confondre, s'exprimerait, en Amérique, par le biais de l'imaginaire de la rupture, qui consiste non pas à éliminer le passé et à fuir le réel, mais à le produire, comme l'a souligné notamment Gilles Deleuze. Ainsi, plutôt que de viser un enracinement qui assurerait une continuité historique et une profondeur mémorielle, l'expérience de la frontière aurait engendré une dynamique prospective. Ce que certains ont interprété comme une instabilité et un réflexe d'esquive, d'autres l’ont traduit comme une trajectoire et un potentiel de dépassement.

1 2 3 4 5 6 7